Gilles Dauvé – Jean Barrot (photos sur la Toile)
DAUVÉ (Gilles), dit JEAN BARROT, professeur d’anglais de lycée professionnel (L.P.) retraité, traducteur, écrivain : Né à Paris en 1947, il est le fils de Guy Dauvé, policier sous Pétain, qui fut commissaire des Renseignements généraux sous De Gaulle, et dont la dernière mission fut de harceler Coluche afin d’éviter qu’il ne vienne perturber le «cirque électoral» présidentiel en 1980. Son fils, révolté très jeune contre le pétainisme policier de son père, prit le pseudonyme de Jean Barrot, pour dissimuler ses activités d’extrême gauche.
En 1965, il adhère au groupe «Pouvoir Ouvrier» (P.O.), fondé par Albert Masò (Albert Véga), ancien membre de «Socialisme ou Barbarie». Il quitte P.O., en septembre 1967, en même temps que huit adhérents, dont Pierre Guillaume et Jacques Baynac. Avec ces derniers, il fonde la librairie «La Vieille Taupe». Autour de la librairie, se forme un groupe, fortement influencé par la gauche italienne de Bordiga, les revues Invariance de Jacques Camatte et Le Fil du temps de Roger Dangeville*, et surtout l’Internationale situationniste de Guy Debord, dont il reprend avec délectation le goût de la provocation. Pour Dauvé, ce fut «un lieu de passage de divers fils, avec une dominante anti-léniniste». En mai 1968, le groupe informel de la Vieille Taupe participe au Comité d’action étudiants-ouvriers, puis, avec la fin du mouvement, au groupe inter-entreprises du centre universitaire Censier à Paris.
Les 14 et 15 juin 1969, Gilles Dauvé participe à la rencontre de Taverny, organisée par «Informations et correspondances ouvrières» (ICO), le groupe d’Henri Simon, où convergent une centaine de «camarades isolés ou de groupes d’un peu partout». Il y présente un texte «Sur l’idéologie ultragauche», qui sera repris dans le recueil Communisme et question russe. Il s’y élève contre les ‘constructeurs de parti’ et donne sur le sujet sa «réponse de Normand» :
«Le parti n’a ni à être créé, ni à ne pas l’être : il est pur produit historique. Le révolutionnaire n’a donc besoin ni de construire le parti ni de craindre de le construire.» :
«Le socialisme, c’est la gestion ouvrière. Cette conception est restée au centre des idées ultragauches. Ainsi, la critique du Parti se relie-t-elle à la critique du socialisme russe. Au parti, instrument de prise du pouvoir et de gestion de la société socialiste, les ultra-gauches substituèrent les conseils ouvriers ».
«Les ultra-gauches remplacèrent ainsi le fétichisme du parti léniniste par celui des conseils ouvriers. On peut donc dire que le courant ultra-gauche n’a pas vraiment dépassé le léninisme»
«Refusant la théorie de la gestion ouvrière, le bordiguisme a fait une des analyses les plus profondes de l’économie russe, mettant au premier plan… les rapports de production. La révolution ne peut consister, explique la presse bordiguiste, qu’à détruire la loi de la valeur et de l’échange. En revanche, la gauche italienne, bien qu’elle comprenne le parti comme produit de la société, reste attachée aux thèses de Que faire ?, d’où une grande confusion théorique».
Mais cette «grande confusion théorique» se manifeste en premier lieu au sein de la «Vieille Taupe» (V.T.). Au début de l’année 1970, la V.T., ou plutôt la «chose» de son gérant Pierre Guillaume, connaît ses premières hémorragies : Jacques Baynac quitte Guillaume et sa V.T. «muée en charogne contagieuse» qu’il «faut détruire», car elle «se chargerait de jeter le discrédit sur les théories que nous essayons de mettre au point». La librairie «La Vieille Taupe» annonçait, modestement, urbi et orbi, la fermeture de ses portes le 15 décembre 1972.
Lors de l’enterrement de Pierre Overney (4 mars 1972), qui rassemble 200.000 manifestants, le groupe «Vieille Taupe» avait distribué un tract qui permit de focaliser la révolte de jeunes ouvriers. De nombreux contacts permirent la sortie du bulletin Le Mouvement communiste, dont Gilles Dauvé fut le principal rédacteur, aidé par son ami François Cerutti (François Martin). Ce bulletin fut diffusé à 1.000 exemplaires, notamment à l’usine Renault de Boulogne-Billancourt, mais l’enthousiasme retomba vite quelques mois après. La tentative de fusion avec le bulletin Négation (qui publiait aussi le journal Le Voyou) d’Alain Ajax et Nicolas Will resta sans lendemain. Sous le nom de Jean Barrot, Gilles Dauvé venait de publier en août chez Champ Libre – maison influencée par le situationnisme de Debord – son premier livre : Le Mouvement communiste. Le livre ne faisait que reprendre les textes de sa revue ronéotée Le Mouvement communiste, où ici et là émergeaient les positions de la revue Invariance de Jacques Camatte.
En 1973, dans l’avant-dernière revue du «Mouvement communiste», Dauvé avouait l’isolement de son groupe et l’échec des «activités spectaculaires contre la politique», comme le sabotage d’une réunion sur Léon Blum. Au lieu de se consacrer à la critique des groupes politiques – «ultra- gauches» inclus, tous étiquetés comme «rackets» –, l’activité devait dorénavant s’affirmer comme un «mouvement pratique», voire activiste «subversif» : «Toute communauté d’idées ne peut exister que comme communauté pratique incluant nécessairement à un moment ou à un autre la violence révolutionnaire».
Cette «violence révolutionnaire», Dauvé et ses amis crurent la retrouver dans une action de récupération effectuée par Puig Antich (1948-1974) et d’autres militants du MIL qui furent arrêtés en octobre 1973. Le MIL (Mouvement ibérique de libération), qui s’était auto-dissous en août 1973 pour se transformer en «groupes autonomes de combat», demanda au Mouvement communiste, avec lequel il était en contact depuis plusieurs années, de les aider à organiser une campagne de «solidarité révolutionnaire», surtout pour empêcher l’exécution du jeune homme impliqué dans la mort d’un garde civil franquiste. Gilles Dauvé et ses amis du Mouvement communiste prirent contact avec l’historien Pierre Vidal-Naquet* (1930-2006) et d’autres intellectuels afin d’empêcher l’exécution du jeune Puig Antig. Ils créèrent le comité «Vérité pour les révolutionnaires espagnols» dont l’adresse postale était l’adresse privée de l’historien. Ce Comité devait fusionner avec celui mis en place par les libertaires de l’ORA (Organisation révolutionnaire anarchiste). Ni Vidal-Naquet ni le Comité ne parvinrent à arrêter le garrot de Franco.
Dauvé essuya les feux de la critique. Divers groupes proches, mais perplexes sur son activisme («Révolution internationale» et «Pour une intervention communiste»), soulignaient «son opportunisme tous azimuts caractéristique de son empirisme anti-organisationnel» ou bien une fébrile agitation «sous la pire forme de l’individualisme petit-bourgeois».
Gilles Dauvé refusa toute critique, estimant – et ce sera toujours un «invariant» comportemental chez lui – que : «C’est encore être victime du capital que de s’attarder sur les faiblesses des autres». «Il est donc exclu de juger des individus ou des groupes». Il tenta néanmoins de faire le bilan de la campagne de solidarité, mais aussi une critique du MIL, dans sa brochure Violence et solidarité révolutionnaire.
Au début de ces «années de plomb», Dauvé avait donné un soutien quelque peu filandreux à la «bande à Baader» : «On est révolutionnaire lorsqu’on tend à bouleverser ce qu’on a devant soi (et le reste). Baader cherchait d’abord à réveiller le prolétariat allemand… Une minorité infime peut faire des actions violentes positives, lorsqu’elle s’intègre à un mouvement social… L’action subversive n’a pas besoin de se réfugier au sein des masses et ne tente pas non plus de les secouer par des actes exemplaires». En 1977, lorsqu’Andreas Baader, membre de la Fraction armée rouge (RAF), fut retrouvé avec trois de ses compagnons «suicidé» dans sa cellule de Stammheim, Gilles Dauvé et plusieurs anciens du Mouvement communiste firent un coup d’éclat quasi-’situationniste’ : ils parviennent à sortir un faux numéro du Monde diplomatique, tiré à 2.000 exemplaires, largement diffusé, qui dénonçait l’État policier ouest- allemand.
À la même époque (1976), Jean Barrot (avec l’aide de Denis Authier), publie un livre qui connaît un certain succès : La Gauche communiste en Allemagne (1918-1921), un livre qui nuance ses précédentes attaques contre le «conseillisme autogestionnaire», devant donner – selon lui – une image du KAPD «bien plus énergique, dictatoriale et ‘dirigiste’ [ ?!] que les conseillistes actuels». Ici et là transparaissent les idées de Barrot, recyclées à partir de la revue Invariance : «La gauche communiste a été l’expression de la crise du prolétariat». De façon plus ambiguë, il fait du phénomène national- bolchevik de Laufenberg et Wolffheim, exclus du KAPD en août 1920, «une prise de conscience de la tendance capitaliste à dissoudre les classes moyennes et le prolétariat dans un ensemble de ‘travailleurs’ salariés’», bref une «classe universelle» et «non-classe». Il se fait aussi le théoricien d’une marginalité assumée du «Mouvement communiste» : «Il n’y a plus … [de] groupe radical implanté en milieu ouvrier, en dehors d’une période révolutionnaire».
En 1979, Dauvé publie un important recueil de textes, consacré aux positions de la Gauche italienne sur la guerre en Espagne : «Bilan». Contre-Révolution en Espagne 1936/1939. Ce recueil est précédé d’une longue et intéressante préface. Mais les premières lignes résonnent ainsi : «Les horreurs du fascisme n’étaient ni les premières, ni les dernières, ni, quoi qu’on en dise, les pires. Elles n’avaient rien à envier aux massacres ‘normaux’ des guerres, famines, etc. » Dans un texte de 1996, il dut battre sa coulpe : «La première phrase de ma préface à Bilan 1936-1939… contient une énorme perle… J’y dis que ‘les horreurs nazies ne sont pas les pires’ alors que jamais la barbarie capitaliste n’a atteint de tels sommets».
En fait – «the last straw on the camel’s back» – on dénichait une autre «perle», une note de glose faisant un discret éloge d’ouvrages ‘négationnistes’ de l’ex-PCF et SFIO Paul Rassinier (1906- 1967), dont l’éloge funèbre avait été prononcé par l’idéologue nazi-fasciste Maurice Bardèche (1907-1998). Dauvé, qui semble alors l’ignorer, dut rebattre sa coulpe en 1983 : «[Rassinier] «n’est pas gêné d’écrire en 1963-64 dans un torchon comme Rivarol où s’étale à longueur de colonnes le racisme le plus graveleux».
En 1979, Pierre Guillaume fait un ‘comeback’ dans le rôle de ‘gourou’ mégalomane, provocateur et manipulateur. Il recrée – après plusieurs années de disparition «dans la nature» – une «Vieille Taupe», version 2, qui n’est plus une librairie mais une maison d’édition. Et pas n’importe laquelle ! Le ‘gourou’ republie, non seulement la plaquette Auschwitz ou le grand alibi (1960) de Martin Axelrad – qu’il est impossible de faire passer pour un texte ‘négationniste’ –, mais le Mensonge d’Ulysse de Paul Rassinier, compagnon de route de l’extrême droite fasciste. Pierre Guillaume apporte son total soutien à Robert Faurisson et publie en avril 1980 le brulot négationniste de Serge Thion : Vérité historique ou Vérité politique ? Le dossier de l’affaire Faurisson, la question des chambres à gaz. C’est le début de la longue ‘saga’ d’un authentique aventurier politique qui s’enfonce dans le marécage de l’extrême droite : des Annales d’histoire révisionniste (1987-1990) – diffusées par la librairie néo-nazie Ogmios – à la publication en 1995 des Mythes fondateurs de la politique israélienne sous la plume de l’ex-doctrinaire stalinien Roger Garaudy (1913-2012), nouveau catéchumène de l’islam. Un livre qui deviendra un ‘best-seller’ en arabe dans les milieux islamistes, où l’antisémitisme tient lieu de fonds de commerce idéologique.
Gilles Dauvé, qui commence à «s’intéresser» à Rassinier, se laisse fasciner par le discours du nouveau Messie du ‘révisionnisme’, puis se laisse glisser sur la pente savonneuse du ‘négationnisme’. Le Messie du faurissonnisme va instrumentaliser la revue La Guerre sociale, dont le premier numéro sort au printemps 1977 (à 1.500 exemplaires, vite épuisé), sans mention du nom des auteurs. Son principal contributeur est d’abord Dominique Blanc (Dominique Karamazov), qui provient du mouvement «Quatre millions de jeunes travailleurs» (PSU) et a sorti un numéro unique de King-Kong international un an auparavant. Une grande partie des articles est consacrée à «l’avenir du communisme», à l’«abolition du travail salarié», à la critique de l’idéologie écologiste, à une violente dénonciation du «féminisme», mais aussi à l’actualité comme le golpe polonais du 13 décembre 1981 du général Wojciech Jaruzelski.
En juin 1979, Gilles Dauvé, «conseillé», «encadré» et «relu» par Pierre Guillaume, publie dans La Guerre sociale «De l’exploitation dans les camps à l’exploitation des camps». Mais il demeure fort prudent, ne voulant pas «démontrer l’inexistence des ‘chambres à gaz’», se limitant à «voir comment s’est établie une vérité officielle». Moins floue est sa mise en exergue d’un possible retour d’un «racisme d’État», avec le surgissement de la crise : «Si malheureusement une situation semblable à celle de l’Allemagne, qui s’est retrouvée au paroxysme de la crise avec sept millions de chômeurs, se reproduisait sans qu’il y ait de possibilité d’abattre les rapports de production capitalistes, il y a toutes les chances qu’un fort racisme et même un racisme d’État renaîtrait».
En mars 1980, le groupe se divise sur le soutien à apporter à l’universitaire négationniste Robert Faurisson qui depuis 1978 tisse patiemment sa toile d’araignée pour semer le doute sur l’existence des chambres à gaz et la réalité du génocide. Pierre Guillaume, engagé dans des opérations «coups de poing» médiatiques, parfois au sens propre, essaye de convaincre ses anciens camarades de soutenir Faurisson. Mais il fait aussi du porte-à-porte auprès de petits groupes ‘ultragauches’, peu critiques et crédules, prêts à se lancer tête baissée dans un activisme tous azimuts au nom de la lutte contre le «mythe antifasciste» des camps nazis. Et donc proies faciles pour le ‘gourou’ Guillaume.
C’est ainsi que le micro-groupe «Pour une intervention communiste», qui publie la revue Jeune Taupe utilise, en octobre 1980, le terme de «Religion de l’holocauste» et apporte son petit caillou à l’édifice du négationnisme : «Ce chiffre de six millions n’est certainement qu’une pure fantaisie (et il constitue même une quasi-impossibilité matérielle) et […] la volonté d’« extermination» qu’il recouvre est très discutable». Après le sanglant attentat antisémite contre la synagogue de la rue Copernic (3 octobre 1980), la «Guerre sociale» et «Jeune Taupe», ainsi que d’autres groupes de sensibilité ‘libertaire’ [«Le Frondeur», «Commune de Kronstadt», «Amis du Potlach» (sic), etc.], avaient diffusé à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires un tract intitulé «Notre royaume est une prison» où l’on pouvait notamment lire : «La rumeur des chambres à gaz, rumeur officialisée par le Tribunal de Nuremberg, a permis d’éviter une critique réelle, profonde du nazisme… Les déportés qui ne sont pas revenus sont morts du fait de la guerre» [souligné par nous].
Après avoir soutenu de nouveau (en 1983) Faurisson dans la Révolution sociale, au point de vouloir l’«aider pour faire face à tous [ses] frais de justice», les «jaunes-taupistes» battirent leur coulpe et réécrivirent en septembre 1987 l’histoire : «En ce qui nous concerne, nous n’avons jamais été ni révisionnistes, ni compagnons de route du révisionnisme… ». C’était la voie du ‘dénégationnisme’ que Dauvé mit beaucoup plus de temps à emprunter, ne voulant pas toucher au mythe de son «invariance» personnelle, mythe qu’il reprenait du bordiguisme.
Or, de manière très significative, ce bordiguisme ‘invariant’, fantasmé par Dauvé, condamna très fermement, en octobre 1980, dans son organe Le Prolétaire, le négationnisme, estimant qu’on a toujours tendance à SOUS-ESTIMER les victimes de la barbarie capitaliste : «Personne n’a besoin d’«inventer» des horreurs et il est difficile d’« exagérer» : le capitalisme en produit beaucoup plus que l’imagination ne saurait le faire. Le tout est de savoir quelle attitude on a devant ces horreurs. (…) Peut-on répondre à [l’]exploitation par la bourgeoisie de ses propres crimes en niant purement et simplement leur réalité ? Non ! C’est débile – dans tous les sens du terme. […] Le prolétariat ne nie pas la réalité des tortures, massacres, exterminations, même s’il n’est pas seul à les subir, […] mais il montre leur cause réelle».
Gilles Dauvé, ainsi que Jean-Pierre Carasso et Serge Quadruppani, mal à l’aise dans le soutien de Faurisson en qui ils voient un «huluberlu» «de l’autre bord», quittent alors la «Guerre sociale». Celle-ci publiera un faire-part nécrologique (encadré de noir), le premier avril 1985, précisant :
«Nous ne sommes ni morts ni enterrés». Dominique Blanc reprendra le flambeau de la résurrection en 1991 dans l’éphémère (deux numéros) Maintenant le communisme, revue à laquelle collabore le négationniste Serge Thion mais aussi Pierre Guillaume (Pierre Natan).
Dauvé et Quadruppani, de leur côté, créent la revue La Banquise (1983-1986), ce qui leur valut le doux qualificatif de «pingouins». La Banquise marque une certaine rupture avec le faurissonnisme, mais en tapinois. Selon Quadruppani, en 1983, il «n’avait pas d’opinion sur les chambres à gaz», confessant naïvement que si «quelqu’un [Faurisson] tape dessus, il ne doit pas avoir tout à fait tort» (conférence de presse, 25 juin 1996). Pour un ancien de la «Guerre sociale», comme Bernard Ferry, la différence entre les deux revues était mince. Il s’agissait d’une «querelle entre faurissoniens» : d’un côté du ring, les «intransigeants, intégristes (La Guerre sociale)», de l’autre les «critiques, méfiants, peu enthousiastes, mais en désaccord fondamental avec le révisionnisme».
Dans un long texte intitulé, dans un style freudien, «Le roman de nos origines», Dauvé se livre (au printemps 1983) à un règlement de compte contre l’’ultra-gauche’ ’bordiguiste’, ‘situationniste’ et ‘conseilliste’ en «décomposition» : «Au lieu de définir la ‘dictature du prolétariat’ à partir de la communisation, [Bordiga] enferme celle-ci dans une dictature politique qui en fait d’abord une question de pouvoir […] La gauche italienne […] a compris la nature du communisme mais a privé le prolétaire de sa mise en œuvre pour la confier à un parti gardien des principes, chargé de l’imposer par la force». […] l’IS secoua l’ultra-gauche. Mais sa théorie du spectacle la conduisit dans une impasse : celle du conseillisme… l’IS avait contribué comme [Bordiga] à la synthèse révolutionnaire qui s’ébauchait vers 1968». Mais «chacun fut désormais à la ‘recherche’ du groupe particulier où il trouverait ses racines ‘naturelles’ (féminisme, régionalisme, identité homosexuelle, etc.). Toutes les idéologies furent revitalisées, le léninisme comme l’anarchisme».
Mais Dauvé ne manque aussi aucune occasion – dans ce style inimitable d’adolescent péri- situationniste (mais ‘nourri’ de La Rochefoucauld et de Chamfort…) – d’enfiler d’autres «perles», dures à ‘avaler’ : «Le camp nazi figure l’enfer d’un monde dont le paradis est le supermarché. […] L’homme moderne juge particulièrement horrible et barbare le numéro tatoué sur le bras des déportés. Il est pourtant plus facile de s’arracher un lambeau de peau que de détruire un ordinateur. […]».
Dauvé avec Quadruppani quittent La Banquise et créent l’antonyme : Le Brise-glace (1988-1990), plutôt libertaire. Quadruppani, après sa rupture avec Dauvé, publiera la revue satirique libertaire Mordicus (1990-1994). En 1997, il s’engagea dans la mouvance «antifasciste radicale», en publiant des articles dans la revue No pasaran.
Un an auparavant, en 1996, Dauvé et Quadruppani étaient contraints de revenir sur leur passé, mais ès qualité d’auteurs de «polars». Dauvé vit son manuscrit refusé – sur intervention du romancier (venant du PCF) Didier Daeninckx – par les éditions «La Baleine». Tous deux étaient accusés d’être aussi bien des «crapules négationnistes» que des «pédophiles», tout comme, par la suite, Gilles Perrault qui publiait quelques mois plus tard le livre Libertaires et «ultra-gauche» contre le négationnisme (1996). Gilles Perrault fut accusé par Daeninckx d’être un «agent de la DST», et un «homosexuel»…
Dauvé, dans ce dernier livre, dut dresser un bilan de la «galère faurissonienne» et décrire (en citant élogieusement Pierre Vidal-Naquet) le mécanisme infernal du négationnisme : «Le révisionnisme consiste à récuser chaque preuve proposée du génocide, à en exiger chaque fois une nouvelle, au point de dissoudre morceau par morceau la réalité de l’extermination : il ne vise en effet pas autre chose que cela». Cette juste description du mode opératoire utilisé pourrait aussi bien s’appliquer aux théories du complot, autre forme de négationnisme…
Certains de ses anciens amis, comme Bernard Ferry, soulignèrent, néanmoins, le «jésuitisme écœurant» (et tardif) de Dauvé, dû tant à la faiblesse de son caractère qu’au caractère nébuleux de son «idéologie» : «Gilles Dauvé aurait tout simplement reconnu qu’il s’était fourvoyé dans ce guêpier par ignorance, par aveuglement idéologique ou tout simplement par amitié avec Pierre Guillaume, personne n’aurait trouvé à y redire… Dauvé vient d’inventer une nouvelle variante au négationnisme : le dénégationnisme. Au sens freudien du terme».
D’autres ‘ultragauches’, comme «Échanges et mouvement» (ex-ICO) d’Henri Simon, ont été encore plus durs envers Dauvé et ses anciens compagnons d’armes ès faurissonnisme («Jeune Taupe») : «Le fil conducteur, à mon avis, dans ce cercle d’intellectuels, c’est le besoin d’activisme ‘révolutionnaire’ et de trouver un thème porteur de cet activisme. […] Faute de ‘sujet’ de lutte au début des années 80, ils se lancèrent dans cette défense de Faurisson dans un combat contre la ‘pensée unique’ politiquement dominante autour de la Résistance, pour la ‘liberté d’expression’. […] Ce fut la base d’une dérive dont certains – dont Dauvé, S. – se retirèrent quand ils comprirent que ‘ça sentait mauvais’ (clairvoyance politique? …). Aucun des protagonistes suscités n’a jamais tiré vraiment la leçon de cette dérive. Au contraire, les rares fois où j’ai tenté directement de l’expliquer par leur conception ‘révolutionnaire’ d’activiste, les réactions furent très violentes et de rupture».
Dauvé a mis fin, à la fin des années 1990, à sa propre «errance», à son «activisme» idéologique dilettante, riche en provocations adolescentes, «guéri» – semble-t-il – de la «maladie infantile» du «mouvement communiste». Avec Karl Nesic et d’autres, il a animé le site web Troploin, publiant des articles sur le déclin du double modèle capitaliste d’État et keynésien d’accumulation.
Dans le domaine de l’actualité à caractère historique, comme le 11 septembre 2001, son analyse – mais aussi celle de Karl Nesic (1945-2016) et Jean-Pierre Carasso (1942-2016)1 – demeure floue. Proclamant que «la troisième guerre mondiale n’est pas pour aujourd’hui mais pour après-demain», il estimait, à l’époque, que «l’islamisme lui-même connaît un net déclin en tant que projet historique».
Critiquant, en 2014-2015, le prétendu sens de la lutte «révolutionnaire» kurde, associant drapeau rouge et nation, il s’est refusé toute comparaison déplacée avec l’Espagne révolutionnaire de 1936.
En collaboration avec Karl Nesic, Gilles Dauvé a porté l’essentiel de sa réflexion sur la «communisation», une ‘non-utopie’ inéluctable qui s’opérerait dès le premier jour comme ‘insurrection créative’, sautant l’étape de la ‘période de transition’ : «La ‘Communisation’ c’est quelque chose de tout à fait direct, c’est une révolution qui commence à changer immédiatement les relations sociales. Elle s’étendra sur des années, probablement des décennies, mais dès le premier jour elle commencera par supprimer le travail salarié, le profit, la productivité, la propriété privée, les classes, les États, la domination masculine, etc. Il n’y aurait pas de ‘période de transition’ dans le sens marxiste du terme, pas de période où ‘les producteurs associés’ continuent de favoriser la croissance économique pour créer les bases industrielles d’un nouveau monde. Communisation veut dire : insurrection créative qui impulserait le communisme, non ses prémices».
Après la disparition de Karl Nesic, Dauvé a poursuivi sa réflexion autant sur la question de la communisation (2017) que sur des questions sociales à retombées politiques, telle la question «homo» de 1864 à nos jours. Dans ce dernier livre, il affirme que s’il «y a des homos révolutionnaires, il n’y a pas d’homosexualité révolutionnaire». Il envisage la possibilité d’un «monde futur où l’on serait humain sans avoir pour cela besoin de se classer en homo, en hétéro, en bi, etc., sans avoir besoin de se protéger entre semblables».
Gilles Dauvé est l’auteur d’un roman (La Fileuse, 1988) et de plusieurs nouvelles. Il est aussi traducteur de l’anglais (en collaboration) : Franz Neumann : Béhémoth. Structure et pratique du national-socialisme 1933-1945 et Edward P. Thompson : La formation de la classe ouvrière anglaise.
Sources
Jean Barrot : «Révolutionnaire ? Notes sur la subversion» et «Nouvelles du front», Le Mouvement communiste n° 4, mai 1973. – «La guerre civile en Espagne 1973. Violence et mouvement social», Le Mouvement communiste n° 6, oct. 1973. – Pour une intervention communiste (PIC), «L’Affaire Puig Antig. Certains se démasquent», Jeune Taupe n° 1, février 1974. – Chardin,
«À propos de la brochure de Jean Barrot : Violence et solidarité révolutionnaire. – Les procès des communistes de Barcelone», Révolution internationale n° 15, mai 1975. – Gilles Dauvé, «De l’exploitation dans les camps à l’exploitation des camps», La Guerre sociale n° 3, juin 1979. – «Faurisson, Holocauste et les chambres à gaz», Jeune Taupe n° 28, oct.-nov. 1979, p. 17-19. – [Martin Axelrad]
«Anti-Antifascisme infantile», Le Prolétaire n° 322, 31 oct.–13 nov. 1980, p. 3. – «Qui est le juif ?», Jeune Taupe n° 31, avril-mai 1980. – «Dossier sionisme-fascisme. Correspondance Faurisson-Jean Daniel», Jeune Taupe no 34, nov.-déc. 1980. – Dauvé (et Quadruppani), La Banquise n° 1, printemps 1983, p. 23-31; et «L’horreur est humaine», p. 23-31. Dauvé (et Quadruppani), «Le Roman de nos origines», La Banquise n° 2, 1983, p. 3-60. – Louis Janover, Nuit et brouillard du révisionnisme, Paris-Méditerranée, 1996. – Florent Brayard, Comment l’idée vint à M. Rassinier : naissance du révisionnisme, Paris, Fayard, 1996 [préface : Pierre Vidal- Naquet]. – Gilles Dauvé, «Bilan et contre-bilan», in Libertaires et «ultra-gauche» contre le négationnisme, Paris, Réflex, 1996 [Préface de Gilles Perrault]. – Alain Bihr, «Les mésaventures du sectarisme révolutionnaire», in Négationnistes : les chiffonniers de l’histoire, Golias/Syllepse, 1997. – Didier Daeninckx, Le jeune poulpe contre la vieille taupe, Bérénice/Valmont, 1997; Le Goût de la vérité, Verdier, 1997 – Valérie Igounet, Histoire du négationnisme en France, Seuil, Paris, mars 2000. – Sergi Rosés Cordovilla, El MIL: una historia política, alikornio ediciones, Barcelone, 2002. – Christophe Bourseiller, Histoire générale de l’ultra-gauche, Denoël, 2003. – Pierre Vidal-Naquet, Les Assassins de la mémoire. «Un Eichmann de papier», et autres essais sur le révisionnisme [1985], Seuil, 2005. – Guy Dardel, Le martyr imaginaire, No Pasaran, 2005. – Fabrizio Bernardi, Dino Erba et Antonio Pagliarone, Gilles Dauvé [Jean Barrot]. Le Roman de nos origines. Alle origini della critica radicale, Quaderni di Pagine Marxiste, Milan, 2010. – François Cerruti, D’Alger à Mai
Mes années de révolution, Spartacus, Paris, 2010 [Avant-propos de Mohammed Harbi]. – Michel Dreyfus, L’antisémitisme à gauche, histoire d’un paradoxe, La Découverte, 2011. – Valérie Igounet, Robert Faurisson, portrait d’un négationniste, Denoël, 2012. – Collection digitalisée des revues : Jeune Taupe (1974-1981), La Guerre sociale (1977-1985), Le Frondeur (1980-1982), La Banquise (1983-1986), Le Brise-Glace (1988-1990), Mordicus (1990-1994), sur le site autonomies : http://archivesautonomies.org/. Lettre d’Henri Simon à l’auteur, 8 nov. 2015. – Biographie de Didier Fernand Daeninckx, par Hugues Lenoir, Dictionnaire des Anarchistes, site Maitron : http://maitron-en-ligne.univ-paris1.fr/spip.php?article154898 (30 avril 2014).
Œuvre : Jean Barrot : «Le ‘renégat’ Kautsky et son disciple Lénine», in Karl Kautsky, Les trois sources du marxisme. L’œuvre historique de Marx, Spartacus, mai 1969, p. 57-64 [revu et publié en brochure par la Vieille Taupe, en avril 1970]. – «Sur l’idéologie ultragauche», Informations et correspondance ouvrières n° 84, août 1969, p. 28-37. – Communisme et question russe, La Tête de feuilles, 1972.
– Le Mouvement communiste, Champ Libre, 1972. – «Les révolutionnaires et le Front populaire», in La légende de la gauche au pouvoir. Le Front populaire, La Tête de Feuilles, 1973; [& François Martin (alias de François Cerutti)], Eclipse and Reemergence of the Communist Movement, Black & Red Press, Detroit (Michigan), 1974; Violence et solidarité révolutionnaire. Les procès des communistes de Barcelone, Éd. de l’Oubli, 1974; Pour une critique de l’idéologie antimilitariste, Éditions de l’Oubli, 1975; (& Denis Authier), La Gauche communiste en Allemagne, 1917-1921, Payot, 1976. – Bilan, Contre-révolution en Espagne 1936-1939, Paris, U.G.E. 10/18, 1979. – Banlieue molle, HB Éditions, 1997. – Quand meurent les Insurrections, ADEL, Montréal, 1999. – Denis Authier et Gilles Dauvé, Ni parlement, ni syndicats : Les conseils ouvriers!, Les Nuits rouges, 2003. – Karl Necic et Gilles Dauvé, Au-delà de la démocratie, L’Harmattan, 2009. – Dauvé & Nesic, Communisation, troploin, Compiègne, 2011. – Gilles Dauvé, From crisis to communisation, PM Press, oct. 2015 (traduction en français, Entremonde, 2017, Genève). – Site trop loin (http://www.troploin.fr/) : «Communisation», 2011; (avec T.L.),
«Kurdistan ?», 2015. – De la crise à la communisation, entremonde, Genève, 2017. – Homo : Question sociale et question sexuelle de 1864 à nos jours, Niet éditions, nov. 2018. – Réseau ‘No pasaran’ : http://nopasaran.samizdat.net/?page=sommaire